Grâce à Mary Lallemant de Poinçon (Aigle Blanc), il a été possible de
faire le point avec toute la rigueur et toute la précision habituelle de
cet ancien chef de résistance locale sur un événement rapporté
différemment dans plusieurs ouvrages sur la Résistance. Il a conservé
beaucoup de notes et de documents qui permettent de rectifier les erreurs
décelées au cours de mes recherches.
Après l'annonce du message codé "Les chevaux du 17 piaffent à
l'écurie", les maquisards ont accueilli deux parachutistes sur le
terrain situé à proximité de la ferme "Le champ du Bois"
au-dessus de Poinçon dans la nuit du 3 au 4 mai 1944. Dès 22 heures tout
était mis en place pour la réception de ce parachutage exceptionnel où,
au deuxième passage, un radio et un agent de liaison allaient être
largués avant le lâcher des containers prévus lors du troisième
passage.
La consigne était connue de tous : les parachutistes devaient sortir leur
arme dès leur arrivée au sol et ne la rentrer que sur le mot de passe
"France". La surprise fut totale lorsque nos maquisards
arrivèrent vers le premier parachutiste. Au lieu d'entendre un mâle
"Halte-là ! Qui vive ?" s'entendirent-ils interpellés par une
voix féminine implorante "Soyez chics, aidez-moi à enlever ma
combinaison, j'ai envie de faire pipi !". La nature demandait la
priorité sur la sécurité. Maurice Chouet l'aida à sortir de l'ornière
où elle était tombée tandis que Georges Barret allait à la rencontre
de son compagnon, dont le parachute était resté accroché aux branches
d'un arbre à l'orée du bois. Il attendait, l'arme au poing, le mot de
passe qui permit le regroupement sans incident. C'est ainsi que
"Nicole" et Noël" furent réceptionnés et conduits chez
l'oncle de Mary Lallemant, Félix Guillaume. L'homme était un sujet de Sa
Majesté britannique venu au Canada et elle était de mère française et
de père anglais et bénéficiait ainsi de la double nationalité ; lui
était le radio et elle l'agent de liaison. Le lendemain Nicole se
présenta vêtue d'un élégant tailleur blanc et armée d'un 6,35 à
crosse ornée de nacre blanc, placé dans son sac à main. Elle initia les
maquisards au combat rapproché avec quelques belles prises ; de son
côté, Noël se livra à une démonstration de tir au pistolet des deux
mains en abattant des têtes de chardon à distance.
Deux jours après ils poursuivaient le "Donkeyman circuit" qui
est le circuit du réseau Jean-Marie, puisque les Anglais l'appelaient
ainsi pour ne pas dire "fada". Ils devaient rejoindre le P.C. du
réseau à Aillant-sur-Tholon dans l'Yonne. De fausses nouvelles
parvinrent plus tard sur la mort de Nicole lors de combats auxquels elle a
effectivement participé mais elle n'est morte qu'assez récemment et
aurait pu revenir sur les lieux retrouver son comité d'accueil si nous
n'avions pas été égarés dans nos recherches par des erreurs lues dans
des ouvrages manquant de rigueur dans leur documentation.
Dans le livre de Robert Bailly "Si la Résistance m'était
contée" paru en 1990, page 340, on peut lire que "le 6 mai 1944
une jeune fille anglaise "Nicole" Margaret Snight , est
parachutée sur le territoire de Fleury-la-Vallée ce qui fait suite à
l'arrivée d'un capitaine anglais surnommé Oscar qui sera le compagnon
d'Alain de la Roussilhe..."
Il est en effet difficile de vérifier tous les témoignages et ainsi se
glisse-t-il des erreurs bien compréhensibles mais que l'on doit rectifier
lorsqu'on obtient les éléments nécessaires.
Déjà dans le livre du capitaine Colson "Le réseau Jean-Marie au
combat", page 167, l'auteur cite Margaret Knight (Nicole).
Dans le très sérieux ouvrage paru en 1993 de Jean Yves Boursier
"1940-44, la Résistance dans le Jovinien et le groupe Bayard",
page 65 à la fin du chapitre sur le S.O.E. on peut lire : "Le S.O.E.
envoyait souvent par parachutage des agents accompagnés d'un opérateur
radio, avec un code et un nom de code. Dans cette région ce furent les
capitaines Landsell, Thomson et Margaret Smith (Nicole)."
Quant au livre de E.H. Cookridge "Mettez l'Europe à feu",
publié chez Fayard en 1968, page 289, l'auteur situe le parachutage le 28
avril 1944 :
"Lorsque Henri Frager revint de Londres en France le 15 février
1944, tous les officiers du S.O.E. ayant travaillé avec lui avant son
départ - "Hercule", "Bastien", "Elie",
"Simone" - avaient été capturés. Le colonel Buckmaster, en
renvoyant Frager en France, lui recommanda vivement d'éviter Paris et
d'installer son quartier général dans un des camps de maquisards créés
dans la région de l'Yonne. C'est pourquoi, dès son arrivée, Frager se
rendit à Auxerre, où son adjoint, le colonel Jacques Adam, s'était
dépensé sans compter pendant son absence.
Adam lui donna de bonnes nouvelles. Avec l'appui constant de résistants
dans les camps de maquisards, au cours du printemps 1944, les réseaux
avaient étendu leurs ramifications bien au-delà de leurs limites
originelles. L'Yonne, la Brie et l'Aube constituaient depuis longtemps de
solides points d'appui pour Frager, qui connaissait personnellement tous
les groupes locaux, mais maintenant il y en avait beaucoup d'autres,
jusque dans les Ardennes, la Lorraine, la Bourgogne, et même au sud
jusqu'en Savoie. Le colonel Adam disposait d'un camp important, groupant
plusieurs centaines d'hommes bien armés, dans la forêt d'Othe. De son
côté, Frager apportait aussi de bonnes nouvelles, car il put assurer
Adam et ses adjoints que l'invasion alliée allait se déclencher dans
quelques semaines.
Pour remplacer les officiers capturés, le colonel Buckmaster envoya à
Frager un autre agent de liaison, un "pianiste", et un courrier
féminin Peggy Knight ("Nicole"). Je tiens à relater rapidement
quelques-unes des aventures de cette jeune fille, ne serait-ce que pour
montrer que les agents de la "dernière heure", envoyés en
1944, eurent aussi à affronter de graves et constants dangers.
"Nicole" fut parachutée dès le 28 avril 1944 sur un des
terrains contrôlés par les réseaux de Frager. Peu après son arrivée,
elle s'occupait déjà activement de la réception des parachutages,
effectués de plus en plus fréquemment et en quantité croissante ;
d'autre part, elle instruisit des recrues nouvellement arrivées, leur
apprenant le maniement des armes anglaises ; elle combattit même au cours
d'une embuscade tendue à un convoi de camions allemands, et pour la
première fois fit le coup de feu à côté de ses camarades. Frager
l'envoya à Paris pour porter des messages à certains de ses amis, et
elle accomplit plusieurs fois ce dangereux voyage au cours des semaines
suivantes. A partir du débarquement allié en Normandie, Peggy ne cessa
d'aller à bicyclette de camp en camp, pour alerter les groupes qui peu à
peu s'étaient transformés en unités régulières de F.F.I. Elle se
trouvait au quartier général de Frager, au château de Petit Ermite,
quand il fut encerclé par les Allemands : après avoir participé au
combat, elle réussit de justesse à s'échapper avec 30 maquisards et
resta plusieurs jours cachée dans les bois. Lorsque les divisions
allemandes firent mouvement pour renforcer les défenses de Normandie, les
maquisards de lYonne et du Loiret s'efforcèrent de les harceler, et Peggy
prit part à un engagement sur la route de Joigny à Montargis : il eut
pour résultat la reddition du convoi allemand, la capture de nombreux
véhicules, et la prise d'une importante quantité d'armes, de munitions
et de vivres. Pendant les semaines qui précédèrent la Libération,
Peggy servit d'agent de liaison entre les unités F.F.I. du colonel Adam
et les troupes britanniques parachutées au sud de Paris, ainsi que les
forces cuirassées américaines. Il lui arriva à plusieurs reprises de
traverser les lignes ennemies, et deux fois elle fut arrêtée par des
patrouilles allemandes, mais les officiers qui l'interrogèrent ne
soupçonnèrent jamais que cette frêle jeune fille pouvait être une
espionne. Elle expliqua entre autres à un de ses interrogateurs qu'elle
était à la recherche d'un dentiste, car elle souffrait d'une terrible
rage de dents. L'Allemand, très étonné qu'une jeune fille eût l'audace
de traverser la ligne de feu uniquement pour se faire soigner une dent,
lui donna de l'aspirine avec une tasse de café et la laissa partir. C'est
ainsi que Peggy put remarquer les différentes unités ennemies occupant
la région et donner ensuite le renseignement à ses chefs. Bref, en
quatre mois de service en campagne, Peggy fit preuve de tant de courage et
rendit de si grands services qu'elle mérita d'être décorée par les
Français, par les Américains et par les Anglais."
Tous parlent de "Nicole" et "Margaret", l'un ajoutant
"Peggy" mais le nom varie de Knight à Snight en passant par
Smith et les dates varient entre avril et mai 1944. Il semble évident que
tous parlent de la même personne et du même parachutage mais seule la
documentation de Mary Lallemant permet de trancher à défaut de la
principale intéressée que nous aurions aimé rencontrer si le travail de
recherches historiques n'était pas aussi lent et complexe.
1. En réalité Margaret Knight.
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